« On apprécie d'autant plus les choses qu'elles ont requis un travail. »

Mots-clés : graphe, fourrager, explorer, essai, travail, représentation des connaissances, description, raisonnement, comportement, café, chaîne opératoire,
"You just enjoy things a lot more when you work for ‘em"
dixit Luke, des Outdoor Boys, en train de manger son propre pain cuit à la braise sur l'image de droite.
Les chiens apprécient (sont plus détendus, sont plus calmes, ont moins d’expressions de comportement négatifs) quand ils ont l’opportunité de chercher leur nourriture. Il est déconseillé de leur donner la nourriture directement dans une gamelle : il vaut mieux cacher leur nourriture, pour simuler la recherche de nourriture obligatoire à l’état sauvage.
Peut-être l'être humain a-t-il un besoin de fourrager (foraging en anglais – le fait de chercher sa nourriture) qui, s’il est assouvi, procure une plus grande satisfaction. À l’inverse, c’est-à-dire en se concentrant sur l’action de fourrager dont résulte la nourriture, un effort qui a un sens, un résultat, à la différence d’un effort sans sens, apporte une moins grande satisfaction. Alain, parlant du travail, dit :
« (…) il y a de la différence si la porte qu’il fait est pour son propre usage, car c’est alors une expérience qui a de l’avenir ; il pourra voir le bois à l’épreuve, et son œil se réjouira d’une fente qu’il avait prévue. (...) Un homme est heureux dès qu’il reprend des yeux les traces de son travail et les continue (...). Encore mieux si l’on construit le bateau sur lequel on naviguera[.] »
Fourrager peut être compris comme un travail fait pour son propre usage, et la satisfaction apportée par la nourriture en est peut-être augmentée.
Un équilibre est nécessaire. Il ne faut pas se rendre les choses trop difficiles. Le chien ne doit pas être frustré lorsqu’il cherche sa nourriture. La perception de la difficulté joue sans doute un rôle.

Application : le café

On peut se préparer du café de plusieurs manières différentes qui sont plus ou moins coûteuses en temps et en énergie : il existe du café en grains qu’il faut moudre à la main ou avec un moulin électrique, du café lyophilisé en bocal qu’il faut doser, du café en dosettes qu’il suffit de déchirer et de verser dans de l’eau frémissante, du café en capsules qu’il suffit de placer dans une machine, qui s’occupe également du chauffage de l’eau par pression d’un bouton. Devoir moudre son café procure peut-être une plus grande satisfaction que d’appuyer sur un bouton. Il ne faut pas non plus oublier d’autres sources de satisfaction : le goût est peut-être meilleur avec la machine et les capsules proposées par le commerce, et se faire servir un café dans un bar comporte son lot de sources de satisfaction (le rituel, le goût, le fait sortir de chez soi – une forme de foraging, être au bar avec des connaissances).
Comment comparer les complexités relatives des différentes manières de se préparer un café de manière précise ? Pour commencer, nous pouvons décrire précisément les différentes préparations du café en séparant toutes les actions séquentiellement. Ensuite, nous pourrons comparer ces descriptions selon des critères de complexité ou d’effort.
La description des activités humaines fait l’objet de différents domaines scientifiques, e.g., la robotique, pour fabriquer des robots qui nous remplaceront ; l’archéologie, pour comprendre comment les anciens Hommes ont fabriqué leurs outils ou préparaient leur nourriture ; l’ergonomie, pour augmenter l’efficacité et le profit des usines sans trop abîmer les ressources humaines. Une méthode amusante et graphique est la chaîne opératoire de Leroi-Gourhan, objet conceptuel qui permet d’analyser étape par étape le processus de réalisation et d’utilisation d’un objet. Représentons donc, par un graphe, la chaîne opératoire d’une tasse de café.
Nous supposons que :
  • Tous les outils et matières premières ont déjà été achetés.
  • Ils sont tous à portée de main.
  • Ils sont tous en bon état.
  • Seule la préparation d'un café est décrite.
Ces critères permettent de s’abstenir d’écrire les actions nécessaires mais peu intéressantes pour moi telles que « se lever de la chaise », « marcher jusqu’au placard », « ouvrir le placard », etc., ainsi que les actions d’achat et de nettoyage régulier des machines et des tasses.
Voici, à droite, une représentation graphique de quelques manières différentes d’obtenir une tasse de café. Le nombre de manières différentes est l'ensemble des chemins différents entre le nœud DEBUT et le nœud BOIRE TASSE.
En comptant le nombre d'actions sur la figure ci-dessus et en supposant que la satisfaction est proportionnelle à ce nombre d'actions, nous pouvons conclure sur la satisfaction relative des différentes possibilités d'obtention d'une tasse de café.

Aller se chercher un café dans un bar est moins satisfaisant que de le moudre à la main.

Quelques questions :

  • Je suspecte une courbe en cloche si l'on représente la satisfaction en fonction de l'effort requis. Une telle courbe semble compatible avec la contrainte d'équilibre (entre trop et pas assez d'effort) et de continuité (de la courbe).
  • Comment comparer les différentes manières d’obtenir un café ? Faut-il comparer le nombre d’actions pour chaque manière (3 actions pour la prise d’un café dans un bar, 5 actions avec de la poudre de café lyophilisé) ? Faut-il attribuer une valeur numérique (coût) à chaque action et en faire la somme (aspect quantitatif) ? Faut-il créer un ordre partiel des coûts de chaque action et en tirer un autre ordre sur les séquences (manières d’obtenir un café) à l’aide de cet ordre (aspect qualitatif) ? L’ordre ainsi défini sur les séquences dépend-il de l’ordre des actions (est-il plus coûteux de moudre le café après avoir préparé l’eau bouillante ou avant) ?
  • Quels sont les atomes de la description des actions, c’est-à-dire les plus petites subdivisions de l’action qui ne peuvent pas être encore plus subdivisées ? Par exemple, l’action « verser l’eau bouillante dans la tasse » peut être subdivisée en la séquence « 1. approcher la main de l’anse de la bouilloire, 2. prendre l’anse de la bouilloire, 3. soulever la bouilloire, 4. approcher la bouilloire de la tasse, 5. pencher la bouilloire pour que l’eau coule dans la tasse », voire une séquence encore plus longue qui prenne en compte le regard et l'activité des différents muscles. Cette question est très importante si l’on utilise le nombre d'atomes comme une mesure de complexité. Pour un début de réponse, voir la notion de position intentionnelle de Dennett.

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